Le
mouvement de traduction de la littérature égyptienne
(et
de la littérature
arabe
en général)
a commencé il y a assez longtemps en France, puisque déjà
dans les années cinquante
et soixante, on pouvait trouver en traduction française
des auteurs comme Taha Hussein, Tawfiq al-Hakim
ou Mahmûd Taymûr. Tous, à des
degrés divers, sont des monuments dans leur domaine (la
pensée, le théâtre ou la nouvelle) et leur
publication en français vient au fond reconnaître
ce statut incontournable, sans trop se donner la peine d'explorer
d'autres domaines, et en particulier le roman.
Cependant,
tout change avec l'irruption sur la scène éditoriale
française d'une jeune homme déterminé: Pierre
Bernard. D'abord au sein d'une collection rattachée à
l'éditeur Jérôme Martineau, puis en fondant
sa propre maison, les éditions Sindbad, Pierre Bernard
va ouvrir le champ éditorial français à cette
littérature arabe. L'ouvrage qui inaugure cette petite
révolution n'est autre que le Passage des Miracles (Zuqâq
el-Midaqq) de Naguib Mahfouz. Choix remarquable puisque les
lecteurs français peuvent découvrir à la
fois un décor, celui des quartiers populaires égyptiens,
une galerie de personnages exceptionnelle et surtout, la subtile
description des liens de sociabilité qui caractérisent
le tissu urbain.
C'est
le point de départ d'un mouvement de traduction de la littérature
arabe plus contemporaine, assez limité certes, mais très
prolifique si l'on sait qu'il est presque entièrement dû
au travail d'un petit éditeur. Dans les années soixante-dix
et le début des années quatre-vingt, des auteurs
importants de la sphère arabe ajoutent leur nom au catalogue
Sindbad, comme Tayeb Salih (Soudan), Ghassan Kanafani (Palestine)
ou Adonis Syrie/Liban), sans parler
de Kateb Yacine (Algérie).
Vers
le milieu des années quatre-vingts, de nouvelles traductions
de Mahfouz voient le jour, au côté d'un autre auteur
confirmé comme Youssef Idrîs. De Mahfouz, Sindbad
publie le Voleur et les chiens et Récits de notre quartier,
tandis que divers projets éditoriaux subventionnés
voient le jour chez d'autres éditeurs (Lattès ou
Denoël), qui permettront notamment de publier la traduction
française de la Trilogie. C'est peu après ce renouveau
que survient la nouvelle de l'attribution à Mahfouz du
prix Nobel de littérature 1988, qui reste un jalon important,
quoique l'impact en soit controversé.
On
peut débattre à l'infini de la question du bénéfice
de ce prix Nobel sur le mouvement de traduction de la littérature
arabe en Occident. On ne peut nier que le Nobel a généré
une vague d'intérêt auprès de lecteurs qui
sans cela ne seraient jamais venus à cette littérature.
Mais d'une part, la vague n'a été que temporaire
- ces prix sont ainsi fait que le millésime d'une année
efface immédiatement celui de l'année précédente
- de l'autre, elle a un peu occulté le reste de la littérature
arabe, comme si, d'une certaine manière, la littérature
arabe se ramenait tout entière à un seul auteur.
Les critiques ou les éditeurs généralistes
pouvaient avoir bonne conscience: en parlant de Mahfouz, ils avaient
"couvert" la littérature arabe.
Aujourd'hui,
où en est-on? D'autres auteurs égyptiens se sont
fait connaître, comme Sonallah Ibrahîm, aussi publié
par Sindbad, et Gamal Ghitany, dont le Seuil publia dès
1985 le remarquable Zayni Barakat. Ces auteurs sont pratiquement
les deux seuls qui aient acquis une certaine notoriété.
Encore celle-ci est-elle très en deça de ce à
quoi ils pourraient prétendre, et les média n'ont
jamais donné à cette littérature la place
qui lui revient légitimement, de sorte qu'elle n'a pas
bénéficié des relais qui ont profité
naguère à la littérature sud-américaine
et, plus récemment, à la littérature asiatique.
D'autres
auteurs égyptiens ont trouvé la voie de la traduction,
comme Mostagab, El-Bisatie ou Abdel-Méguid, mais au-delà
des succès d'estime, il leur est très difficile
de percer, d'autant que la plus grande partie du travail est accomplie
par un seul éditeur (Actes Sud, qui a repris l'héritage
de Pierre Bernard). On ne peut qu'espérer davantage de
rayonnement international pour cette littérature, passionnante
à bien des égards.
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