Cette lutte,
ce rejet de la violence et des fanatismes transparaissent dans l'Appel
du Couchant, recouverts des voiles du conte. Si le livre, écrit en
1991, dénonce avec humour les multiples travers des régimes arabes
d'aujourd'hui, il le fait en jouant le jeu de l'allégorie. Un jeune
homme, Ahmed Ibn Abdallah, quitte un jour Le Caire pour répondre à
l'appel d'une voie qui lui dit " Va ! ".
Il part vers
le Couchant, et passera sa vie à tenter de rejoindre le soleil. Le
roman s'attarde sur trois de ses étapes : la traversée du désert auprès
de deux hommes qui lui apprennent l'astronomie, les secrets de la
terre et le langage des oiseaux ; un séjour dans une oasis voisine
d'un mystérieux campement, et où il découvrira l'amour, devenant père
avant de repartir ; un territoire lointain dont il deviendra le maître,
expérimentant les affres du pouvoir auprès d'êtres qui changent de
sexe au cours de leur vie. Combien de temps dure le voyage ? Nul ne
le saura, ni quand exactement il se déroule. On retrouve ici, dans
ce rapport flou à la durée, l'un des thèmes essentiels de Ghitany
: le temps, ce temps qu'il brouille au point qu'on ne sait jamais
à quelle époque se situe le récit, tantôt situé par quelques détails
au temps des sultans, plus tard au XIXe, voire au XXe siècle ( ...)
Ce flou du
contexte permet de libres échappées poétiques, et l'on songe par moments
au Rivage des Syrtes ou à ces constructions alambiquées des contes
arabes. Le livre étonne, séduit. Il confirme la place qu'occupe le
grand Égyptien, disciple avoué de Naguib Mahfouz, à qui il consacra
un livre d'entretiens, et donne envie de découvrir plus avant une
ouvre dont l'essentiel est encore inédit chez nous.
Hubert Prolongeau
, l'Humanité, 9 février 2000