L'appel du couchant

Roman de Gamal Ghitany traduit de l'arabe par Valérie Creusot

 

Le roman de Ghitany est, au demeurant, aussi différent que possible des oeuvres de son aîné Naguib Mahfouz. Tahar Ben Jelloun a rappelé que Les Mille et Une Nuits ne cessent pas de faire rêver les écrivains de langue arabe et de les métamorphoser en conteurs étonnants. Ils n'attendent que cela. Gamal Ghitany en est un parfait exemple, avec une architecture de contes qui s'engendrent l'un l'autre. L'imagination triomphe, au service d'une très foisonnante fable que l'on peut interpréter au premier degré comme le fruit d'un plaisir gratuit, superbement poétique. Plus au fond, ce voyage vers le couchant, accompli par un homme du Levant, tient son mystère de l'appel entendu par un citoyen ordinaire du Caire ; ce fut une voix et la voix disait : " Va " ; il devait aller en suivant le soleil jusqu'au bord de l'océan et du monde inconnu. Dire ce qu'il a vu, ce qu'il a vécu : le désert, la caravane, le campement, la Contrée des oiseaux, la découverte de l'amour comme dans Les Mille et Une Nuits, l'accession au pouvoir absolu dans un pays qui ne l'attendait même pas, ce serait schématiser outrageusement.

On est fasciné par ce voyage en direction du destin et de l'inconnaissable, sur fond de citations coraniques et d'ironie quant aux affaires humaines.

Lucien GUISSARD, La Croix, 17 février 2000

 

Cette lutte, ce rejet de la violence et des fanatismes transparaissent dans l'Appel du Couchant, recouverts des voiles du conte. Si le livre, écrit en 1991, dénonce avec humour les multiples travers des régimes arabes d'aujourd'hui, il le fait en jouant le jeu de l'allégorie. Un jeune homme, Ahmed Ibn Abdallah, quitte un jour Le Caire pour répondre à l'appel d'une voie qui lui dit " Va ! ".

Il part vers le Couchant, et passera sa vie à tenter de rejoindre le soleil. Le roman s'attarde sur trois de ses étapes : la traversée du désert auprès de deux hommes qui lui apprennent l'astronomie, les secrets de la terre et le langage des oiseaux ; un séjour dans une oasis voisine d'un mystérieux campement, et où il découvrira l'amour, devenant père avant de repartir ; un territoire lointain dont il deviendra le maître, expérimentant les affres du pouvoir auprès d'êtres qui changent de sexe au cours de leur vie. Combien de temps dure le voyage ? Nul ne le saura, ni quand exactement il se déroule. On retrouve ici, dans ce rapport flou à la durée, l'un des thèmes essentiels de Ghitany : le temps, ce temps qu'il brouille au point qu'on ne sait jamais à quelle époque se situe le récit, tantôt situé par quelques détails au temps des sultans, plus tard au XIXe, voire au XXe siècle ( ...)

Ce flou du contexte permet de libres échappées poétiques, et l'on songe par moments au Rivage des Syrtes ou à ces constructions alambiquées des contes arabes. Le livre étonne, séduit. Il confirme la place qu'occupe le grand Égyptien, disciple avoué de Naguib Mahfouz, à qui il consacra un livre d'entretiens, et donne envie de découvrir plus avant une ouvre dont l'essentiel est encore inédit chez nous.

Hubert Prolongeau , l'Humanité, 9 février 2000

Les Mille et Une Nuits hantent la plupart des écrivains arabes. Même s'ils ne l'avouent pas, c'est bien cet héritage collectif et quelque peu flou qui s'insinue dans leurs récits(...) L'écrivain a recours aux symboles et métaphores tout en essayant d'être le témoin de son époque. C'est ce que fait Gamal Ghitany dans son dernier livre avec brio et finesse. Il fait preuve d'une capacité d'imagination exceptionnelle. Comme dans Zayni Barakat, premier roman traduit en France, il mêle l'investigation historique et politique au soufisme, mystique musulmane.

L'Appel du couchant, remarquablement traduit par Valérie Creusot n'est pas un roman. C'est une série de contes foisonnant d'histoires s'emboîtant les unes dans les autres avec un fil conducteur, un voyageur, un étranger marqué par le chiffre sept, et qui connaîtra des épreuves extraordinaires. Pour tout bagage, il a sept livres anciens, passera sept jours avec le cheikh, maître des marabouts, avant de se confier au secrétaire du sultan. Le livre est la confession des aventures incroyables d'Ahmad qui aura répondu à l'appel, lequel est venu de nulle part, peut-être du dedans. Il sait qu'il lui faut quitter Le Caire et aller là où le soleil se couche. Il voyagera en suivant son ombre, entraîné malgré lui sur la route du destin. Le désert et l'absence de tout repère lui donnent un fort sentiment d'exil et de ruine (...)

Il connaîtra d'autres peuples et d'autres fables, il sera toujours l'homme étonné, à jamais sans racines, habité éternellement par l'appel du couchant. C'est pour cela qu'il faut prendre le temps de lire ce remarquable conte infini, superbe métaphore du désespoir et de la futilité, un long cheminement vers l'inconnu, là où toute vanité est vaine, où l'être est petit dans l'immensité des sables, où seuls ses rêves fous ou mystiques ont droit d'asile.

Tahar Ben Jelloun - 11 Janvier 2002 - Le Monde des livres