Amrikanli

Roman de Sonallah Ibrahim traduit de l'arabe par Richard Jacquemond

Pilier de la littérature égyptienne au même titre que Gamal Ghitany ou Naguib Mahfouz, Sonallah Ibrahim délaisse pour son dernier roman ses thèmes de prédilection comme la lutte des classes en Egypte ou la condition de la femme et promène son regard sur la société américaine plongée en pleine affaire Lewinski. Résultat : un roman caustique et parfois effrayant(...) [révélant que] les absurdités de la vie californienne n’ont rien à envier aux rigidités morales et politiques de l’Egypte actuelle.

Peu à peu, au travers de ce quotidien lisse et réglé en apparence, [se dévoilent au narrateur] les plaies béantes de l’Amérique de Clinton. Le lecteur, comme le narrateur, prend alors conscience de l’effroyable fragilité des Etats-Unis d’avant le 11 septembre 2001. Derrière la façade de prospérité, volontiers vantée par les médias occidentaux, Sonallah Ibrahim décrit cette frange d’Américains pauvres voués à la violence des rues, à la drogue, à la misère et à une mort certaine dans la fleur de l’âge. Sans établir de véritable parallèle avec l’Égypte contemporaine – la censure veille – l’auteur glisse des comparaisons qui ne tournent pas toujours en faveur de la première puissance mondiale. S’il savoure la liberté d’expression et le culte de l’excellence qui prévalent dans les universités américaines, le héros conserve ses distances par rapport à un pays qui, en 1998, bombarde régulièrement l’Irak sous des prétextes fallacieux(...)

Avec Amrikanli, Sonallah Ibrahim choisit de s’attaquer à l’Amérique triomphante en mettant à nu ses faiblesses. Il n’épargne pas non plus le monde arabe, ses querelles internes et son peu d’attirance pour la démocratie. Cette charge vigoureuse contre la société de consommation est aussi un beau roman sur la solitude et l’exclusion.

FIDANI Geneviève, RFI Livres, 28 octobre 2005

Sa vie est un roman. Il en a tiré des romans. Dans la littérature arabe, l'Egyptien Sonallah Ibrahim occupe une place à part, celle d'un contestataire que rien ni personne n'est jamais parvenu à détourner de son chemin obstinément à contre-courant. Les cinq années de prison auxquelles il est condamné en 1959 par le régime de Nasser pour avoir milité dans la mouvance communiste le font renoncer à l'action politique et préférer l'écriture. Mais, dans un pays où la vérité historique est plus vraie dissimulée derrière la fiction, sa plume se révèle particulièrement acérée, aiguisée par la liberté trouvée dans une vie matérielle ascétique. Quant à ce «Prix du Caire pour la création romanesque arabe» qu'il refuse devant un public médusé parce qu'il est «octroyé par un gouvernement qui ne dispose d'aucune crédibilité pour ce faire», il est l'occasion de manifester son indépendance d'écrivain qui, à l'âge de 66 ans ce 22 octobre 2003, appuie ce geste de défi sur une oeuvre mondialement connue(...).

Dans ce parcours à sa manière exemplaire, le dernier roman de l'écrivain publié en français est peut-être le plus étonnant. «Amrikanli» raconte le séjour d'un professeur égyptien d'histoire comparée dans une université de Californie au cours du second semestre 1998 (...) Au fil de ses exposés et des interventions de ses élèves, l'historien va être amené à brosser, en parallèle, un tableau particulièrement sombre de l'Egypte et des Etats- Unis, du monde arabe et de l'Occident: le racisme, les inégalités sociales, les limites à la liberté d'expression sont d'ici et de là. Ceci dans un style qu'on pourrait qualifier de documentaire. L'écriture apparaît minutieusement descriptive, scientifiquement détachée, nourrie de nombreuses notes de bas de page. Elle n'en est pas moins émouvante, sensuelle lorsque le professeur, au fil du récit de sa vie, ne parvient pas à dissimuler à ses étudiants ce que celle-ci a de plus intime, ses frustrations affectives et sexuelles remontant à son plus jeune âge. Des relations ébauchées avec l'une ou l'autre étudiante n'aboutiront pas. Un roman réaliste, pessimiste et d'autant plus attachant. © La Libre Belgique 2005

Robert VERDUSSEN, LA LIBRE BELGIQUE, 28 octobre 2005